Pouvez-vous nous présenter On the Move ?
On the Move est le réseau international d'information sur la mobilité des artistes et des professionnels de la culture. Notre mission première depuis 2002 est l’accès gratuit, actualisé et régulier à des opportunités de mobilités financées. Nous relayons des appels qui couvrent différents formats de mobilité : résidences, participation à des festivals, à des formations, à des projets de collaborations, commissions d’œuvres ou compétitions avec une dimension de mobilité transfrontalière etc. Tout ce qui permet d'avoir, sur un temps donné, dans un pays autre que celui de son lieu de résidence, une expérience, soit à titre individuel, soit dans le cadre d’une compagnie, d'un groupe ou d’autres formes collectives. On the Move ne finance donc pas la mobilité des artistes et des professionnels de la culture mais identifie des opportunités pour faciliter leur mobilité. Nous couvrons toutes formes de disciplines ainsi que les appels à projets pluridisciplinaires ou plurisectoriels (art et science, écologie, science et pratiques artistiques etc.)
Cette riche base d’informations nous permet également d’être actifs à d’autres niveaux tels que le plaidoyer et la professionnalisation des artistes et des professionnels de la culture, notamment via des programmes d’accompagnement sur l’international.
En termes de plaidoyer, en collaboration avec nos membres et d’autres réseaux ou organisations partenaires, nous défendons et promouvons une mobilité des artistes et des professionnels de la culture qui soit plus responsable, équitable et plus diverse également, en termes de genres, de contextes représentés, d’origines etc. Si je devais citer un exemple en ce moment, un exemple qui malheureusement est récurrent, cela serait celui des problématiques de visas notamment au sein de l’espace Schengen et en lien avec les artistes du continent africain. Nous venons de produire un rapport sur le sujet avec des partenaires et des membres d’On the Move tels que Pearle*, la fédération européenne des employeurs du spectacle vivant, Zone Franche, le Conseil International de la Musique, alba KULTUR et les Points d’Information de la Mobilité (Mobility Info Points).
En termes d’accompagnement et de professionnalisation du secteur sur des enjeux de l’international, nous avons développé depuis 2018, le programme PARI ! Parcours d’Accompagnement et de Réflexion sur l’International, en collaboration et avec le soutien du ministère de la Culture et de l’Institut français. Via ce programme, nous avons accompagné avec près de 40 personnes-ressources, plus de 50 compagnies, ensembles et collectifs ainsi que 24 structures en arts visuels pour reposer la notion et les enjeux de l’international dans le monde d’aujourd’hui. (voir le dernier appel du programme PARI ! ici).
Existe-t-il une politique publique européenne pour la mobilité ?
Il n'y a pas, au sens strict du terme une politique européenne qui concernerait le secteur culturel et la mobilité en particulier, la ‘matière’ culturelle dépendant des prérogatives des États membres. Nous pouvons néanmoins parler d’une forte action culturelle européenne (voir notamment l’article de Fanny Bouquerel sur le sujet).
Il y a en effet des cadres de référence politique et d’actions qui sont pleinement mobilisables, et dans lesquels est inscrite depuis plus de deux décennies la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, comme valeur fondamentale du projet politique et ‘géoculturel’ de l'Union européenne.
En termes de cadre politique, référence peut être faite à l'Agenda européen pour la culture - le dernier datant de 2018. Ce texte en particulier a notamment ouvert la voie à la mise en place de Culture Moves Europe, dispositif qui vise à soutenir la mobilité des artistes et des professionnels de la culture et qui fait maintenant partie intégrante du programme Europe créative après les trois années d’expérimentation d’I-Portunus. Cette expérimentation est mentionnée dans cet agenda et elle fait également suite à de nombreuses années de plaidoyer du secteur pour qu’un fonds soit directement accessible aux artistes pour pallier le manque de soutien financier à la mobilité aux niveaux national et local dans la plupart des pays du programme Europe créative. Dans une perspective d’actions, le programme de travail pour la culture au niveau européen est aussi un cadre de travail intéressant pour les États-membres et le secteur, notamment sur la mise en place d’un référentiel européen pour rendre les conditions de travail meilleures, plus justes et plus équitables pour les artistes et les professionnels de la culture (voir le dernier en date pour la période 2023-2026). Ces cadres politiques et ces plans de travail doivent s’inscrire de façon complémentaire avec ceux des États-membres pour respecter le principe de non-subsidiarité.
La mobilité culturelle peut être également connectée à d’autres cadres politiques au niveau européen, notamment dans le secteur environnemental avec la mise en place du Pacte Vert pour l’Europe depuis juin 2019 visant à la neutralité carbone d’ici 2050. Différentes initiatives en lien avec ce Pacte vert ont lieu tant au niveau du secteur (groupe de travail et recommandations dans le cadre de Voices of Culture), de la Commission européenne (triple rapport sur le verdissement du programme Europe créative) et des États-Membres (un groupe MOC-Méthodes Ouvertes de Coordination sera lancé sur la question au premier semestre 2024, voir les derniers groupes de travail ici).
Sur ce dernier point, il est pour On the Move important de connecter cet enjeu de durabilité environnementale et de mobilité culturelle, avec celui de contextualisation des pratiques et d’adaptation, d’où notre proposition d’une définition de la mobilité verte qui aille au-delà des enjeux de moyens de transport et qui ait une dimension plus globale, sur les motivations de la mobilité, ce qui est fait à destination et au retour (voir l’encadré pour la définition sur ce lien).
Comment (re)penser la mobilité dans un contexte de crises ?
On parle d’un contexte de crises permanentes, notamment depuis la Covid qui a exacerbé les tendances déjà̀ à l'œuvre, sur les questions du changement climatique, du numérique, d’un contexte mondial de plus en plus incertain etc. Cependant sur cette notion de crise, ses formes de compréhension dépendent également d'où l’on se place et dans quelle perspective on se positionne. Il existe de très nombreux contextes dans le monde où les crises sont perpétuelles, qu'elles soient d'ordre politique, économique, sociétal, environnemental etc. Cette question de perspective et de contexte est cruciale pour mieux envisager la complexité que revêt la notion de mobilité dans le secteur artistique et culturel. Celle-ci est certes comme mentionnée largement référencée car elle est une valeur fondamentale du projet européen. Dans le même temps, elle est souvent envisagée soit à l'aune des problèmes administratifs et financiers qu'elle engendre, notamment sur les questions administratives et l'accès (inégal) aux financements, soit telle une simple addition de formats de mobilité (mobilités de création, de monstration, de recherche, de montée en compétence etc.). Il ne s’agit certes pas de minimiser la question des financements et des problématiques administratives, qui font partie du cœur de métier d’On the Move et des Points d’Information sur la Mobilité (pour les questions administratives). Ceci étant, les enjeux sociétaux, politiques, environnementaux, éthiques qui encadrent la mobilité, tant du point de vue des financeurs publics et privés qui la soutiennent que du point de vue de celles et ceux qui y participent, doivent être pris de façon beaucoup plus importante et beaucoup plus contextualisée. Pour de nombreux artistes et professionnels de la culture, le fait d’être en mobilité n'est pas un choix, mais plus souvent une façon de réparer ce que l’on n’a pas dans son contexte national ou local en termes de soutien à la formation initiale, soutien à la création, à la production, à la reconnaissance de son travail, si on va plus loin à la reconnaissance de son identité et de sa liberté d’expression. Le levier européen ou international est alors parfois le seul qui qui puisse apporter une forme de solution à cette défaillance au niveau local. L'idée serait de prendre en compte cette complexité de la question pour pouvoir y répondre de façon plus contextualisée que globale, sachant qu'une réponse uniforme à toutes ces problématiques ne pourrait convenir à tous les contextes dans lesquels les artistes et les professionnels de la culture évoluent.
C’est le travail de réflexion et de formes d’actions, que nous tentons de faire au niveau d’On the Move avec nos membres et nos partenaires à travers par exemple notre groupe de travail sur les mobilités forcées ou via notre série de Fora sur la Mobilité Culturelle dont le dernier à Tunis, en collaboration avec Culture Funding Watch, abordait la question de la mobilité culturelle et de la durabilité environnementale dans un contexte ‘Sud global’.
Où s’informer sur les opportunités autour de la mobilité ?
Le site d’On the Move permet un accès direct à des appels non-réguliers ‘open calls’ (liés à un financement particulier, une saison culturelle, une Capitale européenne de la culture etc.) ou à des dispositifs plus réguliers de la mobilité via nos guides des financements de la mobilité ‘funding guides’ focalisés sur des pays, des régions du monde ou des continents. Nos derniers guides avec le co-financement de l’Union européenne se focalisent sur 10 pays des Balkans et la région sud de la Méditerranée. Nous avons aussi co-produit un guide avec le Music Export Poland focalisé sur les financements de la mobilité dans le secteur musical.
Enfin, pour la France, nous actualisons chaque année le guide des financements de la mobilité pour la France grâce au soutien du ministère de la Culture. Nous avons également produit en 2022 un guide focalisé sur les territoires ultramarins français. Ces guides sont enrichis d’une page de ressources en français et d’une lettre d’information mensuelle en français(au-delà des versions en anglais, allemand, italien et espagnol), là encore soutenues par le ministère français de la Culture.
Ces guides de financements de la mobilité sont importants tant pour le secteur que pour les financeurs et les responsables de politiques publiques pour identifier des creux de financements de la mobilité culturelle (en termes de régions, pays, thématiques, disciplines etc.) mais aussi pour s’inspirer d’autres pratiques.
Les opportunités de mobilité sont importantes à mettre en avant tout comme les thématiques et les enjeux qui y sont liées. Grâce au soutien de l’Union européenne depuis 2022 (financement Réseaux – Europe créative), nous pouvons produire sur la base de nos webinaires des rapports sur les flux de mobilité (Cultural Mobility Flow Reports) qui incluent des recommandations politiques. Les sujets précédemment traités sont sur la mobilité dans les régions et territoires ultrapériphériques européens, les relations entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne dans un contexte post-Brexit, la mobilité et la parentalité.
Depuis 2022, nous publions également des Annuaires de la Mobilité Culturelle (Cultural Mobility Yearbook). Celui de 2023 traite des questions de durabilité environnementale et de mobilité culturelle. Ce rapport permet notamment de mettre en valeur le fait que la question des changements climatiques, de la durabilité environnementale est beaucoup plus au cœur de nombreux appels de mobilité culturelle depuis 2020. Cependant les aides, dans la majeure partie des cas, n’ont pas encore été repensées en fonction des enjeux soulevés par la durabilité environnementale (par exemple, sur la compensation financière et du temps de travail des voyages plus longs, les temps plus longs sur place et la venue de membres de la famille et notamment d’enfants etc.) Nos recommandations seraient d’aller au-delà d’appels teintés d’une couleur verte pour penser à une refonte plus importante des politiques et dispositifs d’aides de manière à être plus en phase avec les questions éthiques, environnementales, politiques et sociétales qui nous animent, et qui nous permettraient de mieux prendre en compte les différents contextes dans lesquels les artistes et les professionnels de la culture évoluent.
Réponses par Marie Le Sourd sur la base d’un entretien réalisé en juin 2023. Après accord d’On the Move (22 novembre 2023)