Pouvez-vous nous présenter On the Move ?
On the Move est un réseau d'informations sur la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, actif en Europe et à l'international. Notre mission principale, c'est de relayer des appels, notamment de financement, pour que les artistes et les professionnels de la culture puissent trouver de façon régulière, gratuite, actualisée des opportunités qui peuvent les intéresser en termes de résidences, de participation à des festivals, de participation à des formations, à des collaborations. Tout ce qui permet d'avoir, sur un temps donné, dans un pays autre une expérience, soit à titre individuel, soit dans le cadre d’une compagnie, d'un collectif ou d'autre. On ne finance donc pas la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, mais on relaie des opportunités. Et ce qui est très important, c'est que dans notre politique éditoriale, on ne se focalise que sur les appels où les frais de voyage sont au moins partiellement financés. Ça c'est la partie informations, et on couvre dans la mesure du possible tous les secteurs, ainsi que tout ce qui est plutôt pluridisciplinaire, et je dirais même plurisectoriel en lien avec d'autres secteurs.
Au-delà de cette question de l'accès à l'information, on a également deux autres types de grandes actions. L'une c’est le plaidoyer, pour défendre et promouvoir une mobilité des artistes et des professionnels de la culture qui soit plus durable, responsable, plus équitable aussi. Si je devais citer un de ces enjeux en ce moment, un enjeu assez continuel, ce serait la question des visas. On the Move travaille sur ces questions en collaboration avec les membres de son réseau, notamment avec les mobility info points, les points d'information sur la mobilité qui travaillent sur ces enjeux administratifs. On travaille avec d'autres réseaux et structures extérieurs, comme le réseau Zone Franche, le Réseau européen des employeurs dans le spectacle vivant, le Conseil international de la musique,... On travaille aussi soit à mettre en œuvre directement, soit à contribuer à des programmes d'accompagnement d'équipes artistiques, d'artistes, de structures sur leur développement à l’international. L'un de nos principaux programmes, c'est le programme Paris - Parcours d'accompagnement et de réflexion sur l'international - qui avait été initié en 2018 par le Ministère de la Culture et qui a été rejoint depuis 2019 par l'Institut français.
Existe-t-il une politique publique européenne pour la mobilité ?
Je dirais qu'il n'y a pas une politique européenne en ce qui concerne le secteur culturel et artistique pour la mobilité, car tout ce qui concerne les affaires culturelles dépend finalement plus des prérogatives des États membres que d’une politique européenne proprement dite. Néanmoins, il y a des outils d'action et des cadres de référence politique qui sont tout à fait intéressants et qui posent vraiment depuis bientôt deux décennies la mobilité des artistes et des professionnels de la culture comme une valeur fondamentale au sein du projet géo-culturel et artistique de l'Union européenne.
Donc en termes de politique culturelle, on peut parler de ce cadre qui est l'Agenda européen pour la culture - le dernier date de 2018. Je dirais que cet agenda en particulier a ouvert la voie à la mise en place de ce dispositif récent qu’est Culture Moves Europe, un dispositif de soutien à la mobilité des artistes et des professionnels de la culture au niveau du programme Europe créative. Cette expérimentation était déjà souhaitée dans cet agenda et elle fait suite à de nombreuses années de plaidoyer du secteur.
Après il y a ce qu'on appelle le Plan de travail pour la culture au niveau européen qui s'étend généralement sur trois ans. Cela reprend là aussi des points forts de travail des États membres, de leurs représentants des ministères de la culture ou des conseils des arts, sur des questions notamment en lien avec la mobilité ou connectées à ce secteur. En ce moment il y a un gros travail sur la mise en place d'un cadre de référence pour des conditions de travail meilleures, plus justes et plus équitables pour les artistes et les professionnels de la culture. Ce sont des actions, des dispositifs complémentaires à ceux existants au niveau national.
Et puis depuis 2019 il y a la mise en place du Pacte vert pour l'Europe, c'est intéressant d'ailleurs qu'on ait cette conversation maintenant, parce que la semaine dernière, fin mai 2023, a été mise en ligne un triple rapport qui avait été commandé par la Commission européenne sur justement la manière de verdir le programme Europe Créative*. C’est un rapport qui fait suite à une résolution du Parlement européen de septembre 2020 sur la manière et les types d'actions qu'il faudrait mettre en place pour répondre aux objectifs du Pacte vert européen. Ce triple rapport revient sur des éléments stratégiques pour que des opérateurs culturels, des artistes puissent aussi s'emparer de ces questions partant du principe qu'il y a déjà pas mal d'expérimentations sur le terrain. Ces expérimentations d'ailleurs font partie d'un autre outil qui a été mis en ligne pour essayer de partager les bonnes pratiques et notamment de mobilité qui peuvent aussi être recontextualisées dans différents endroits en Europe.
Et puis il y a un dernier point qui est plutôt sur le suivi et l’évaluation, c'est-à-dire comment établir des indicateurs verts ou des critères plus écologiques, afin de prendre en compte ces questions au-delà du développement général des projets européens.
*Greening of the Creative Europe Programme – Good Environmental Practices Guide
Comment (re)penser la mobilité dans un contexte de crises ?
On parle d’un contexte de crises permanentes, notamment depuis la Covid qui a exacerbé les tendances déjà à l'œuvre, sur les questions du changement climatique, du numérique et puis, évidemment, malheureusement depuis février 2022, la guerre en Ukraine. Mais après, quand on parle de crises, cela dépend aussi d'où on se place et dans quelle perspective on se positionne. Il y a énormément de contextes dans le monde où les crises sont perpétuelles, qu'elles soient d'ordre politique, économique, sociétal, environnemental ou autre. Et je pense que cette question de perspective et de contexte est extrêmement importante pour mieux envisager la complexité que revêt la notion de mobilité. Celle-ci est beaucoup référencée, c'est une valeur fondamentale du projet européen au sens large du terme. En même temps, elle est souvent vue soit à l'aune des problèmes administratifs et financiers qu'elle engendre, notamment sur la question des visas ou la question de l'accès au financement, soit elle peut être vue comme juste une addition de ces éléments plutôt administratifs ou de formats de mobilité. Je ne suis pas du tout en train de minimiser la question des financements et des problématiques administratives, ça fait partie du cœur de métier d’On the Move. Ceci étant, les enjeux sociétaux, politiques, environnementaux, éthiques qui encadrent la mobilité, tant du point de vue des financeurs publics et privés qui la soutiennent que du point de vue de celles et ceux qui y participent, doivent être pris de façon beaucoup plus importante et beaucoup plus contextualisée. Entre autres sur les enjeux environnementaux. Dans cette complexité, et peut-être que là encore le contexte de la Covid a rappelé ce point, ce qu’il faut prendre en considération, c'est qu'on est loin d'être tous égales et égaux face à la mobilité. Pour de nombreux artistes et professionnels de la culture, elle n'est pas un choix, elle est finalement une façon de réparer ce qu'on n'a pas dans son contexte national ou local en termes de soutien à la formation initiale, soutien à la création, à la production, à la reconnaissance de son travail, si on va plus loin à la reconnaissance de son identité. Donc le levier européen ou international est le seul qui puisse permettre ou qui puisse apporter une forme de solution à cette défaillance au niveau local.
Pour citer l'exemple d’une discussion qui peut générer une vision binaire des choses, est-ce que le fait de vouloir décarboner nos pratiques va à l'encontre d'une mobilité plus soutenue des artistes et des professionnels de la culture? L'idée c'est aussi de prendre en compte cette complexité de la question pour pouvoir y répondre de façon plus contextualisée que globale, sachant qu'une réponse à toutes ces problématiques ne pourra pas convenir à tous les contextes dans lesquels les artistes et les professionnels de la culture évoluent.
Il y a un peu plus de 11 ans, On the Move avait commissionné à l'organisation Julie’s Bicycle un guide de la mobilité verte pour le spectacle vivant. Pour nous, la question de la mobilité verte, ce n’est pas juste la question du type de transport que l'on va prendre entre le point A et le point B, c'est également ce qu’on va faire à destination, quel type de rencontres il va y avoir, la durée, le type de liens, de sens qu'on va créer sur ce territoire et puis aussi cette question du retour, ce que l’on va ramener dans son propre contexte.
Où s’informer sur les opportunités autour de la mobilité ?
Sur le site d’On the Move, on relaie des appels non réguliers, des one-off: là par exemple, il y a un appel dans le cadre d'un focus France - Pays de Galles, c’est-à-dire un appel spécifique bilatéral. Ça peut être aussi tout ce qui est appels à participation dans des festivals ou des résidences dans le cadre d’une Capitale européenne de la culture, donc lié à un temps donné. Il y en a pratiquement tous les jours, du lundi au vendredi, en tout cas sur le site. Et ensuite, on a ce qu'on appelle des guides des financements de la mobilité, notamment un très bien étayé pour la France qui est soutenu par le Ministère de la Culture et qui est actualisé tous les ans. Également des guides qui permettent d'identifier des dispositifs de mobilité sortante pour aller d'un pays donné, la France par exemple, vers l'international et vice-versa, donc de mobilité entrante. Ici on est plus sur des dispositifs réguliers, qui peuvent exister au niveau de résidences ou des dispositifs, également au niveau des collectivités territoriales. Ces guides sont soit focalisés sur des pays, soit sur des continents comme pour l'Afrique, ou des régions. Les derniers en date sont focalisés sur la région des Balkans et la région Méditerranée Sud, entre autres les pays du Maghreb. Ce sont des guides de ressources si vous avez des projets en lien avec ces pays ou ces régions en Europe ou à l’international. On a aussi un guide récent sur la mobilité en lien avec les territoires ultramarins français.
Ces outils sont intéressants à un double niveau. D’une part bien sûr pour les artistes et les professionnels de la culture qui n'ont pas le temps d'avoir une veille continue et qui peuvent trouver cet accès facilité, et d’autre part pour les responsables de politiques publiques, financeurs publics et privés, parce que ces outils permettent de mieux mettre en valeur ce qui existe au niveau d'une région ou au niveau d'une discipline, et d'en être inspiré. Ça, c'est aussi un élément qu'on essaie de mettre en avant, le fait d'être inspiré par d'autres manières de financer la mobilité. Et sur ce dernier point, je voudrais mettre en avant une dernière publication qui est maintenant produite de façon annuelle. Ça s'appelle le Cultural Mobility Yearbook, donc l'annuaire de la mobilité culturelle. Il est mis en ligne chaque année en mars. Cet annuaire revient sur la base des données qu'on a collectées sur notre site, sur les tendances en cours, le type de financement qu'on peut retrouver, par exemple en fonction des zones géographiques dans le monde. Et chaque année, on a aussi un focus particulier, cette année c’était en lien avec les enjeux de durabilité environnementale et de mobilité artistique. Ce qui en ressort, et c’est là qu’on voit comment l’accès à l’information est couplée avec cet enjeu politique de recommandation publique, c’est que ce thème se retrouve sur énormément d'appels, que ce soit des festivals, des résidences, etc.
Mais quand on en vient plus précisément au type de soutien qui peut être attribué en fonction du mode de transport qui est pris par les artistes, en fonction de la durée qui est passée sur place, on se rend compte que c’est encore assez timide, et qu'on a vraiment besoin d'un changement de système pour mieux prendre en compte des formats de mobilité différente, plus contextualisés, plus longs. Par exemple pour les artistes qui voudraient venir avec leur famille, parce qu'on n'est pas dans un type de tournée de quelques jours, mais sur des temps plus longs. Là, il y a vraiment tout un travail de fond qui doit être fait. C'est pour ça que la question des ressources est autant importante pour le secteur que pour les responsables de politiques publiques, pour pouvoir mieux identifier certaines tendances, et éventuellement agir en conséquence. C’est à penser au-delà d'un appel spécifique qui serait teinté d'une thématique verte, ou en lien avec la diversité, c’est-à-dire se mettre dans une perspective de véritable reformatage de ces aides, qui puissent être plus en phase avec les questions éthiques, environnementales et sociétales dont on parle aujourd'hui, et qui sont évidemment extrêmement importantes pour prendre en compte les enjeux de changement climatique.
*Information et ressources en français
Entretien réalisé en juin 2023