"Carte des labyrinthes" par Inés Pérez Wilke

i-team 2022-2023 : retour sur la dernière semaine à Kerminy

formation
i-team 2022-2023

Pour sa dernière semaine de l’année, les participantes d’i-team ont été accueillis à Kerminy, lieu expérimental à Rosporden (Bretagne) qui croise art et agriculture dans un parc et une bâtisse en auto-gestion pour accueillir artistes, chercheurs, toute personne intéressée par cette articulation.

 

Patricia de Bollivier i-teameuse de la promo 2022-2023, revient sur son expérience...

Atterrissage à Kerminy, « la maison des moines », qui semble une réponse incarnée aux questions brûlantes de notre épopée de ces huit derniers mois. Au cœur de la Bretagne, ce domaine remarquable doté d’une magnifique bâtisse et d’un parc arboré, est tenu par un couple d’artistes plasticiens, Dominique et Marina, qui accueillent en résidence des artistes et des chercheurs de tous horizons, musiciens, danseurs, artistes visuels mais aussi des jeunes agriculteurs qui ont besoin d’accompagnement pour le lancement de leur projet. Un lieu autogéré, collaboratif et joyeux, mêlant art et paysannerie. Retrouvailles affectueuses et émouvantes avec le groupe I-Team après les destinations variées et intenses de la semaine 5 : Sarajevo, Tunis, Antwerpen, l’Alsace et la Champagne, les Sept Vallées, Saint Ouen au siège de l’association des gens du voyage, Mayotte…  Les séismes et points d’appui de chacune, les étonnements, les chutes et les rebonds viennent prendre corps tout au long de la semaine dans un récit pluriel, un patchwork mêlant histoires personnelles, traversées des territoires, relations et pratiques collectives du partage et du soin. Quand le politique et l’intime se mêlent pour construire de nouvelles possibilités d’être au monde et des réponses aux urgences dévorantes…

La ballade de Marta, poésie incarnée, drôle et grave en même temps, cousue d’une playlist d’indispensables éclectiques… Les petits pays de Tatiana, nos limitrophes cousus de fils rouge comme le rouge du vin qui nous lie… Nos herbiers en transparence, partition nomade orchestrée par Aurelia en dentelles végétales sur corps de soie et feuilles d’or… Les voix traversantes de Cindy en correspondance entre Calais et Mayotte, entre atterrissages impossibles et amitiés qui réparent… L’invitation de Marie à plonger dans l’univers du sculpteur Gérard Gartner, dont l’esprit et le rire tsiganes survivent à ses œuvres, qu’il a choisi de détruire en 2016 dans un autodafé joyeux… Le voyage en Bolivie de Vanessa à travers le temps, en cargo ou en paquebot, on ne sait pas, mais les histoires renaissent et prennent corps le temps d’un récit intime et romanesque… La virée dans un bar rock de Sarajevo avec Pauline, au son des riff qui crient la volonté de vivre et la joie comme acte de résistance et de subsistance… La mappemonde renversante d’Inès qui dessine et relie les zones de conflits  migratoires comme nouveaux centres névralgiques à investir et soigner… La dérive dans le Tunis de Catie, à la rencontre de la femme-désert et du chat gris aux yeux vert d’eau, et l’échappée du concert de cristal sur la carte mentale bleu océan… Les histoires cosmogoniques de Clotilde, chuchotis de pierre et de plantes, au creux des corps et des arbres qui tissent des fraternités/sororités paysagères…

J’ai choisi pour ma part de défricher une piste qui me mènera à terme vers un récit curatorial, à travers un corpus d’œuvres de l’océan indien et d’ailleurs qui disent les frontières, l’exil, l’arrachement, la violence politique, la mer comme tombeau mais aussi les liens, les mots et les gestes qui soignent. Un premier pas avec les œuvres de Magalie Grondin, compagne de route dans notre périple mahorais, des photos saisissantes sur le silence et l’impossible parole sur les déchirures de l’archipel de la Lune. Des extraits du film d’Elena Bertuzzi et Laure Chatrefou sur le Debaa apportent un pendant féminin au saisissant tango malavouné de Jean Marc Lacaze : ici la grâce les chants et la joie des femmes apportent une réponse à la violence du territoire. 

J’amène en clôture une installation performée, une île de mourong séché sur océan de Salouva, une géographie de « zerbaj aranjé » par la puissance des mots que je propose au groupe de lire : extraits de textes d’Edouard Maunick, Saindoune Ben Ali, Danyel Waro, Riel Debars, Floy Jalma, Soeuf El Badawi… mais aussi de Cynthia Fleury, Donna Haraway et d’autres auteurs debout au chevet du monde. Chacun/chacune est reparti-e avec un pochon de ce mourong arrangé, cousu avec l’aide de Cindy dans un salouva ramené de Mayotte.

J’imagine ce rituel de réparation comme un acte curatorial au sein d’une exposition en 2024 que viendront également rejoindre les œuvres d’autres artistes de l’océan Indien et d’ailleurs.

Aux questions de quoi faire, comment dire, comment aider, comment soigner, réparer, comment prendre voix… cette semaine à Kerminy a apporté, avec l’accompagnement bienveillant et engagé de Fabienne, Sarah, Laurence et Pascal, des réponses multiples et organiques, en perpétuelle recomposition, vivantes. Elle marque la fin d’une étape pour le groupe en même temps que le début d’un voyage, en cargo ou en paquebot, on ne sait pas, mais ensemble !

Un texte de Patricia de Bollivier

Ainsi s'achèvent 6 semaines d’exploration de pensées émergentes dans le champ politique et culturel européen et de travail avec des acteur·rice·s de terrain sur la question des luttes sociales, urbaines et écologiques, entre Paris, Valencia et Kerminy.

Les candidatures pour la promotion 2023-2024 sont ouvertes ! Si vous êtes intéressé·e n’hésitez pas à nous contacter.